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La collégiale :


La collégiale

Le parti de dépouillement - ou de sévérité, comme on voudra - adopté par le Maître d’oeuvre de l’édification de la Collégiale de Mussy-sur-Seine pourrait amener à penser que l’on fut peu soucieux, du moins dans les premières années de son existence, de la doter d’un mobilier de prestige. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit.


Si l’on fit peu appel aux sculpteurs, en effet, pour enrichir d’éléments décoratifs les murs eux-mêmes, on eut recours à eux quand il s’est agi de peupler l’édifice des « images » et des symboles que la foi du temps appelait et que l’Église alors permettait. Bien des statues que les Musséens d’aujourd’hui contemplent furent offertes à la dévotion de ceux du XIVe siècle grâce à un atelier d’« imagiers » qui disposait à Mussy même de la pierre de qualité dont ils avaient besoin.

XIVe SIECLE, L’ATELIER DE MUSSY

Ce sont les travaux de recherche de Pierre Quarré, conservateur du Musée des Beaux-arts de Dijon, qui ont mis en lumière l’existence de cet atelier et son rayonnement à cette époque du Moyen gee
À partir d’une étude minutieuse d’une statue de la Vierge à l’Enfant, entrée récemment au musée de Dijon, et en extrapolant à d’autres œuvres répandues dans la région, il va définir les caractéristiques qui sont comme les signatures de imagiers qui travaillèrent dans ce qu’il a appelé « l’atelier de Mussy », après avoir vérifié que la pierre dont ces statues étaient faites était bien la même que celle des carrières de Mussy.

Quels sont ces signes distinctifs ? On peut, en examinant une des Vierges à l’Enfant de la Collégiale, celle qui est située au revers de la façade du croisillon sud du transept, en définir quelques uns : le visage est large, « joufflu » même, le cou fort, le menton arrondi, marqué d’une fossette ; un voile court recouvre les cheveux qui débordent cependant en accolade sur le front bombé en deux mèches minces de part et d’autre d’une raie médiane. Sous le voile, les oreilles sont repliées vers l’avant ; sur le voile une couronne, ici tronquée. La taille est marquée haut par une ceinture fronçant la robe au-dessus tandis qu’elle retombe en longs plis se cassant au contact du sol. Un manteau ouvert sur le devant recouvre ses épaules.

L’enfant Jésus a « le crâne allongé » et les boucles de ses cheveux sont faites de petits losanges rangés en lignes parallèles. Ses pieds dépassent légèrement de la tunique. Ni la mère ni l’enfant ne sourient ; leur physionomie exprime au contraire une sorte de tristesse et leurs regards ne se croisent pas. Enfin, l’outil de l’imagier a laissé à la surface de la pierre de fines stries parallèles.

On retrouve les mêmes signes sur la statue fixée à la face occidentale du pilier sud de l’entrée du chœur bien que les gestes et le vêtement soient différents. On les retrouve encore sur la Vierge de la déposition de croix dans la chapelle située à l’angle du transept et du bas-côté sud de la nef, dans un contexte là encore différent.
Les recherches de Pierre Quarré ne sont pas limitées au groupe formé par la Vierge et l’enfant Jésus. Non loin de Dijon, à la fin du siècle dernier, on a mis à jour à la suite de travaux dans l’église de Rouvres-en-Plaine, un curieux et monumental Saint Jean-Baptiste, vêtu d’une peau de chameau dont les poils sont rendus encore sous la forme de losanges disposés parallèlement, alors que l’étoffe du revers est faite de gros fils entrecroisés sculptés avec une minutie extrême.

Comme d’autres l’avaient fait avant lui , P. Quarré a rapproché cette statue du précurseur de celle qui se trouve dans la chapelle des fonds baptismaux de l’église de Mussy. Des différences dans l’expression du visage : l’un farouche, l’autre serein, ou dans le détail : l’un montre l’agneau de Dieu inscrit dans un carré, l’autre dans un cercle, la rouelle, ne font ressortir que davantage les caractéristiques communes : même technique de sculpture du manteau, même façon de traiter barbe et chevelure, par longues mèches entrelacées, mêmes pommettes hautes, mêmes yeux légèrement bridés.
On retrouvera ces marques d’atelier sur les gisants des fondateurs et l’appareil qui les entoure : le pelage des chiens est constitué de losanges, la chevelure et la barbe d’Abraham recevant les âmes des défunts sont sculptées en longues mèches entrelacées, les stries sur la pierre sont nettement marquées et surtout, là encore, l’artiste a mis un soin maniaque à restituer les menus détails, au point que certains ne pourraient être bien observés qu’à la loupe !

Il est superflu d’insister. Le visiteur intéressé ne manquera pas de remarquer ces analogies, d’en découvrir d’autres même et sur d’autres statues de la Collégiale. On attribue en effet à l’atelier, outre celles dont nous venons de parler, deux statues de Saint Jacques le Majeur, situées l’une sur la gauche du portail occidental, l’autre dans la première chapelle du collatéral sud. De même une statue de Marie-Madeleine au portail nord, un évêque, dans la niche à droite du portail ouest , le Saint Pierre au pilier nord de l’entrée du chœur, une tête provenant d’une statue de moine, dans la galerie de chevet et enfin un Saint Michel dans le collatéral nord et une Sainte Trinité dans le croisillon nord du transept. Ces deux dernières œuvres paraissant postérieures aux autres et datées de la fin du siècle.
Mais J. Baudouin relève sur l’un comme sur l’autre que leur tunique a « des plis saillants qui se cassent au contact du sol » et un « visage large aux yeux en amande » ; ajoutons que là aussi les stries sur la pierre sont apparentes.
Le même auteur a rapproché ces deux statues d’une Vierge présente dans l’église de Rouilly, dans l’Aube, qui se distingue par « son manteau ouvert, rejeté sur les épaules, par sa couronne de feuillage et par son visage large aux yeux en amande et à la bouche étroite ». Ces caractères, ajoute l’auteur, sont ceux des Vierges de Tonnerre et de Bayel.
Or, ce sont là les conclusions de P. Quarré et des chercheurs qui lui ont succédé dans ce domaine, en particulier I. Isnard et F. Salet, déjà cités, et J.A. Schmoll.
On peut, à partir de leurs travaux, dresser une liste des œuvres de l’atelier répandues sur un territoire correspondant à peu près à celui que couvrait l’ancien diocèse de Langres et même au delà, au hasard des dispersions.


En plus de celles que nous avons signalées dans l’église même de Mussy, à Bayel ou à Rouvres-en-Plaine ou encore à Rouilly-Sacey, on peut en découvrir dans les églises suivantes :
- A Brennes une Vierge à l’Enfant
- A Brion-sur-Ource, une Vierge à l’Enfant
- A Châtillon-sur-Seine, une Vierge à l’Enfant
- A Gyé-sur-Seine, une Vierge à l’Enfant
- A Langres, cathédrale, une Vierge au buisson ardent
- A Marville, une Vierge à l’Enfant
- A Montmédy, une Vierge à l’Enfant
- A Ramerupt, une Vierge à l’Enfant
- A Rumilly-les-Vaudes, une Vierge à l’Enfant
- A Thieffrain, une Vierge à l’Enfant
Mais aussi dans divers musées, en France ou à l’étranger :
- A Dijon, Vierge « de Montmartin »
- À Châtillon-sur-Seine, Vierge (provenant de Vix)
- À New-York, Metropolitan Museum, donation Rockfeller, id.
- À Londres, Victoria and Albert Museum, id.
- À Paris, Musée du Louvre, tête de Christ et tête de gisant de Jean de Seignelay
Cette liste n’est pas exhaustive ; nous croyons pouvoir y ajouter, par exemple, la Vierge à l’Enfant figurant sur la façade occidentale de l’église de Courteron, dans l’Aube.

Et il faudrait indiquer les œuvres qui, destinées à des oratoires ou à des chapelles, se trouvent aujourd’hui dans des collections particulières et apparaissent au hasard des ventes, ou encore celles qui, sans provenir de façon certaine de cet atelier prolifique, ont été fortement influencées par lui. Mais ceci est une autre histoire…
Bien entendu, les œuvres sont inégales, et toutes ne sont pas de la main de celui qu’on appelle aujourd’hui « le Maître de Mussy ». Dans un même groupe, par exemple le tombeau de Guillaume de Mussy ou encore la descente de croix, les faiblesses côtoient les réussites, les fautes de proportions les détails les mieux rendus.
Pourtant, la production d’ensemble a paru suffisamment remarquable pour que, dans l’exposition qu’ils ont consacré à « L’Art au temps des rois maudits », dans les Galeries nationales du Grand Palais à Paris, les organisateurs fassent une place plus qu’honorable à cet atelier « aussi important qu’original ».

XVIe SIECLE : L’ECOLE CHAMPENOISE.

Il est probable que la Guerre de Cent ans et son triste cortège d’abominations de toutes sortes a ralenti, puis éteint l’ardeur créatrice des artistes de l’atelier, dans une région que la rivalité de la Champagne et de la Bourgogne rendait particulièrement vulnérable. Aussi bien faudra-t-il attendre la fin du conflit, puis le retour d’une certaine prospérité pour que seigneurs, bourgeois et corporations se préoccupent à nouveau d’embellir leur église.

L’activité de l’atelier semble malgré tout s’être prolongée jusqu’au début du XVe siècle, mais c’est seulement au début du siècle suivant que la collégiale inspire de nouveaux artistes. Il n’est pas étonnant, dans le contexte historique de la guerre et de son issue, que Mussy subisse désormais l’influence de la capitale champenoise, derechef en plein essor artistique.
Les œuvres majeures créées à Mussy, le Christ de pitié et la Pieta du croisillon nord du transept, sont en effet très proches de celles que l’on peut admirer à Troyes et dans sa région ; les visages se sont allongés, le vêtement est celui des champenoises de l’époque, élégant et sans excès dans le drapé, mais surtout, conséquence des durs moments de la période précédente et des souffrances endurées, l’imagier cherche à faire naître l’émotion par l’importance qu’il accorde à l’expression du visage et au choix du geste.

Plus encore à Mussy qu’ailleurs peut-être, reste de l’influence bourguignonne très vive aux siècles précédents (?), les marques de la douleur, quoique retenue, apparaissent : les larmes de la Vierge coulant sur son visage, un rictus sur celui du Christ, aussi bien dans le groupe de la Pieta que sur le Christ de pitié, particulièrement pathétique et comme revenu de tout. Des nombreuses œuvres de ce type, figeant dans la pierre ou comme ici dans le bois, une scène des mystères alors en vogue un peu partout, il est le seul en Champagne qui lève ainsi ses paupières affichant, si l’on peut dire, la profondeur de son désespoir. Sans doute existe-t-il au Louvre une tête de Christ levant ainsi les yeux, trahissant les mêmes sentiments extrêmes, mais précisément on présume qu’elle est l’œuvre du même artiste ; ce qui paraît d’autant plus vraisemblable que l’on sait maintenant qu’elle provient de la collection d’un amateur champenois, Julien Gréau .
Ces deux chefs-d’œuvre, la piéta et le Christ de pitié surtout, d’une grande virtuosité d’exécution, sont du début du siècle, plus exactement, en ce qui concerne le Christ, de 1509 . On ne s’étonne donc pas des relents gothiques qu’ils manifestent, comme toutes ces œuvres champenoises classées par Koechlin et Marquet de

Vasselot dans ce qu’ils considèrent comme la première période de l’école troyenne .
Mais l’église de Mussy possède également d’autres statues du XVIe siècle, et notamment une Sainte Marie-Madeleine, d’un extérieur très différent, dans la mesure où les éléments profanes l’emportent désormais sur l’aspect religieux. La coquetterie perce sous un air faussement modeste, le vêtement, bourgeois, et la coiffure, sont recherchés. C’est pourquoi les deux auteurs précédemment cités classent cette statue dans une seconde période de l’école troyenne, dite « de transition » parce qu’elle se situe entre les influences gothiques et italiennes venues avec la Renaissance.
Toutefois Francis Salet, dans l’article précédemment cité qu’il consacre à notre église avait déjà noté que la date de 1594 portée sur une corniche qui supporte la statue en faisait une œuvre très avancée dans le siècle.
Nicole Hany, dans une étude particulièrement documentée qu’elle consacre à la sculpture troyenne du XVIe siècle revient sur ce détail . Selon elle, « seuls les drapés sur le devant pourraient, à la rigueur, laisser entrevoir une date aussi tardive ». Nous nous rallions à son opinion avec d’autant moins de réserve que les statues de la collégiale ont été maintes fois déplacées de leurs socles.
Faut-il manifester le mêmes doutes quand il s’agit de la date portée sur le socle qui supporte la statue de Sainte Geneviève, dans la chapelle voisine, 1574 ? Probablement, à en juger par une date différente que l’on peut lire en dessous : 1552. Le moindre soin apporté à rendre les traits du visage, l’ampleur excessive donnée aux plis du vêtement, l’équilibre général, donnent à penser qu’il s’agit d’une œuvre de la dernière période de la classification de Koechlin et Vasselot. On n’est plus loin à ce moment de ce que certains considèrent comme la décadence de l’école champenoise.

LES ŒUVRES MINEURES

L’église de Mussy est relativement riche de ces œuvres dites « d’art populaire », regroupées pour la plupart dans les chapelles ajoutées au XVIe siècle. L’influence de la Renaissance italienne s’est exercée là comme ailleurs. S’agissant de cette production, nous citerons encore N. Hany qui écrit dans l’étude citée plus haut : « Cette période fut, et est toujours, dévalorisée par rapport aux deux précédentes. Or, il est toujours trop facile de n’en retenir que les œuvres médiocres. Certes, la naïveté, la maladresse des imagiers gothiques peuvent toujours présenter un certain charme. Le » grand style « demande du métier, une connaissance de l’art antique, une maîtrise parfaite de certaines formes et c’est là souvent où nos artistes échouèrent. Mais certains aussi exécutèrent de très beaux morceaux, qu’il faut regarder sans à priori et avec des yeux neufs ».
Au rang des « échecs » dont parle l’auteur, sans doute peut-on citer, pour ce qui est de notre église, une Vierge et un Saint Jean, dans la chapelle sud dite de la Nativité ; le « grand style » ici confine à l’extravagance dans le drapé des vêtements tout au moins. On peut opposer à ce groupe les mêmes personnages du Calvaire situé au revers de la façade occidentale de l’église. Là, au contraire, la Vierge est une émouvante Mater dolorosa, vêtue avec une élégante simplicité, que fait d’ailleurs ressortir une restauration bien conduite.

De même doit-on classer à part une statue d’évêque, placée inopportunément à gauche de l’Ecce Homo, dans la chapelle Saint Edme, et qui retient l’attention par un souci du détail poussé loin et une grande maîtrise dans le modelé du visage. On pense à un portrait.

Ailleurs cependant, bien des personnages ont un « air de famille » qui pourrait faire penser sinon à une même main, du moins à un même atelier. Citons une Sainte Agathe martyrisée, une Sainte Libaire, une Sainte Marguerite, caractérisées par un modelé sommaire du visage, des yeux légèrement exorbités, un profil « grec » qui doit plus à l’à peu près qu’à l’imitation des Anciens, un déséquilibre du corps, porté à l’excès vers l’avant, mais aussi par un vêtement plus simple, une relative recherche du pittoresque, un certain réalisme trahissant le milieu dans lequel évoluaient désormais artistes et commanditaires.

Ces différents caractères, que l’on retrouve peu ou prou dans d’autres statues des mêmes chapelles : les éléments d’une Crèche, un Saint Vincent, deux évêques, un Saint Jacques, le groupe de Saints Côme et Damien, un Ecce Homo, une Vierge aux raisins imitée probablement du chef d’œuvre de Saint-Urbain confèrent à cette production de la fin du XVIe siècle, du XVIIe ou peut-être même du XVIIIe siècle un intérêt surtout documentaire d’où l’émotion, toutefois, n’est pas absente.
C’est la vie d’un village et de ses habitants, leurs occupations quotidiennes, leurs joies, leurs peurs, leurs croyances souvent touchantes, qu’ont sculptées dans la pierre et le bois ces « petits maîtres » de la fin du Moyen ge, abandonnant parfois, hélas, un art authentiquement naïf pour les faux grands airs de la Renaissance.

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